Heureux comme un poisson dans l’eau
II est heureux notre héros le poisson, même si ses frères et sœurs encore alevins sont moins nombreux que ceux qui naissaient autrefois. La maman des poissons qui est si gentille (chantait Bobby Lapointe) s’en désole, bien sûr. Mais comment, année après année, engendrer des familles nombreuses quand l’eau de la mer contient toujours plus de molécules anti-conception échappées des stations d’épuration des hommes ?
Pour l’instant, notre ami que sa jeunesse pousse à l’insouciance, s’en tient à ne pas faire banc à part et se contente, avec sa famille, de repas de plancton. L’orgie toutefois n’est pas à l’ordre du jour car ce plancton que les huiles solaires anti-UV des plagistes empêchent de se multiplier, se raréfie lui aussi.
Tout va donc bien apparemment, et notre poisson grandit malgré tout, en dépit de l’eau toujours plus chaude, du nombre toujours plus grand des plastiques multicolores envahissants, des produits chimiques toxiques innombrables et des ondes et vibrations diverses que produisent les humains. Il trouve même parmi les épaves aux cuves pleines de pétrole qui ne fuient pas encore massivement, abris et terrains de jeux par milliers, car, ça se sait peu, mais les poissons sont d’incorrigibles joueurs.
Ainsi, les hommes créent tous les jours des tas de choses à l’attention de notre héros et de ses frères. On vient d’évoquer les épaves où se rassemblent les poissons ; on pourrait aussi citer les dispositifs flottants de concentration créés à leur intention et sous lesquels ils aiment tant batifoler au mépris du danger. Voilà qui change du jeu ancestral, lequel consiste depuis bien longtemps à éviter de se faire bêtement enfermer dans leurs filets. Ça change aussi des folles journées qui se terminent en boîte, journées que les thons, les maquereaux et les sardines semblent tant apprécier.
Il faut reconnaître ici que la sollicitude des hommes à l’égard des poissons ne se dément jamais. Ne vient-on pas, toujours à leur intention, de moderniser les filets, désormais électriques et chauffants, pour toujours plus de confort ? Les poissons ne gagneraient-ils pas à plus de reconnaissance quant à ces dernières innovations techniques ? Il est même prévu, au cas où ces animaux viendraient à se plaindre de la chaleur, de les congeler toutes affaires cessantes, à peine sortis de l’eau, pour apaiser leurs souffrances !
Tout est donc fait, convenons-en, pour le bonheur des poissons et si, en dépit de tous ces efforts méritoires, notre héros et les derniers de ses semblables, seuls désormais au sein des océans, pouvaient trouver encore à se plaindre, ce serait, hélas, à désespérer. Réaffirmons-le solennellement ; jamais au grand jamais « heureux comme un poisson dans l’eau » ne se sera si parfaitement justifié !
Dominique Viard, responsable de la commission environnement